dimanche 8 juillet 2012

Veep : Le président des Etats-Unis, ce gros bâtard

C'est elle qui porte le chapeau. Plus ou moins.


Depuis le mois de septembre 2011, nous mettons un point d'honneur à renseigner notre infini lectorat sur chaque nouveauté que nous offre la télévision américaine. Daube après daube, surprise après surprise et parfois, merveille après merveille, chaque pilote a fait l'objet d'une critique : délirante lorsqu'on était confronté à The Client List ou dithyrambique face à Boss, notre analyse s'est rarement faite attendre. L'exception à la règle, car il en fallait bien une, concerne la dernière comédie diffusée sur la chaîne câblée HBO pour la saison 2011 / 2012, j'ai nommé Veep. Le pilote est paru le 22 avril dernier. Entre temps, la saison s'est achevée et mes amis ont pu me voir, étonnés, m'exciter tel un moustique au sujet de cette série formidable alors qu'elle ne figurait toujours pas sur ce blog ; mon partenaire, N., m'a régulièrement relancée d'un "Veep se porte bien?", recevant tantôt un prometteur "j'aurais l'article dans deux jours" et tantôt un vil "elle t'embrasse" en retour...Entre temps, donc, je n'ai rien écrit. Pourquoi? Parce que Veep est une série très particulière : dès le pilote, elle m'a fait rire aux éclats, mais je ne savais pas quel ton adopter pour en discuter car à mes yeux, en ce qui concerne cette comédie, l'heure n'est pas à la blague. D'ailleurs, comme cette inhabituelle introduction de type "je te raconte ma vie un soir de décembre" vous permet surement de le constater, je me trouve toujours dans une impasse! Quoi qu'il en soit, on est dimanche, mon chat est occupé à ensevelir mes chaussures de ses poils, mon cher et tendre beugle avec ses potes en jouant à Diablo, je n'ai plus rien à lire et la pression a atteint son paroxysme : ma conscience professionnelle de blogueuse a dépassé le stade de l'insouciante procrastination, aussi mets-je de côté mes scrupules inintéressants pour vous parler de Veep, cette merveille.



L'envers du décor

L'enjeu le plus évident de la série, c'est la description cynique qu'elle fait des arcanes du pouvoir. Chaque épisode de trente minutes est réalisé à la manière d'un mockumentaire, c'est à dire d'un reportage dépourvu d'objectivité et prenant le parti de tourner en dérision ce dont il traite. Veep est une sorte de laboratoire d'études : le spectateur observe de très, très près le cabinet politique entourant Selina Meyer, la vice présidente des Etats-Unis. Mise en scène sur mise en scène, crise après crise, la caméra traque les faiblesses, les "off" d'une équipe qui ressemble toujours plus à une bande de bras cassés.
Selina, incarnée par la magique Julia Louis-Dreyfus, est une personnalité politique rodée et elle s'entoure, pour gérer les mille tourments d'une vie publique à la fois annexe et intense, de plusieurs personnages hystériques, ambitieux ou cyniques, mais surtout très humains. Il y a Gary, qui lui est entièrement dévoué : il peut aussi bien aller lui acheter des tampons que mémoriser la biographie d'une centaine de personnes pour assurer les arrières de Selina lors d'un gala. C'est son meilleur allié, mais il est l'objet d'incessantes moqueries de la part de ses collègues pour son côté benêt, son absence de mordant et il est difficile de les blâmer. 




Amy est ainsi très différente : la gestion des relations publiques du cabinet vice présidentiel est tout ce qui compte à ses yeux. Toutefois, elle a beau être greffée à son Blackberry, elle n'est pas à l'abri des gaffes et les ennuis ne cessent de lui pleuvoir sur le coin de la figure : Selina recrute alors Dan, un requin, qu'Amy déteste profondément. L'arrivée de ce personnage pour lequel le networking est une religion chamboule le système bien réglé qui régit le monde de Selina, pour le meilleur parfois mais surtout pour le pire. Les failles dans la cohésion de l'équipe et la malchance chronique de Selina créent un climat fascinant d'improvisation, de ratés, de calamités diplomatiques. Le spectateur a ainsi la nette impression d'assister à l'atelier du gouvernement, il est dans les coulisses et peut comprendre comment se goupillent toutes ces déclarations, visites officielles et parfois scandales que nous connaissons tous. Il y a là donc le dessin d'une activité politique bien souvent menée par des baltringues, empreinte d'amateurisme, ce qui n'enlève rien au rythme très soutenu des épisodes : un combo très accrocheur, qui fait de Veep une sorte de pendant frais, joueur mais intelligent de séries fort sérieuses telles que Boss.



Sue, did the President call?

Dans les séries, il existe des running gags plus ou moins bons; la même plaisanterie répétée épisode après épisode n'est pas toujours des plus heureuses mais ce n'est pas le cas ici. Selina demande tout au long de la saison à Sue, sa super-secrétaire : "Sue, did the President call?" et celle-ci, invariablement, répond "No". Le ton de Selina est de plus en plus amer, ironique ou triste, tandis que la réponse est toujours plus sèche, empreinte d'une consternation grandissante. Car Selina a beau être au top de la chaîne alimentaire gouvernementale, il ne faut pas manquer l'essentiel : devenir vice président signifie avant tout que l'on n'a pas su devenir président. Etre numéro deux, découvre-t-on, est encore plus triste que d'être dans l'opposition : le candidat défait à l'élection présidentielle peut trouver refuge dans le dénigrement de la politique gouvernementale, tandis que le numéro deux, le vice-président, n'a tout simplement pas ce luxe. Selina navigue ainsi en eaux troubles : elle n'a aucune amitié pour Potus, le président -que l'on ne voit jamais- et prétend mener une activité politique de premier plan quand il ne lui reste que les miettes qu'il veut bien lui laisser. Il existe une indéniable concurrence, car le président fait tout, veillant à publiquement renvoyer une image de bonne entente, pour cantonner le rôle de Selina dans un cadre bien précis qui ne doit jamais empiéter sur l'aura de la première dame des Etats-Unis ; la vice présidente tâche, de son côté, de mener à bien les projets qui lui tiennent à coeur.




C'est là qu'on mesure toute la portée critique de la série : l'agitation constante qui anime le petit monde de Selina contraste profondément avec l'objet de son empressement. Dans l'épisode deux, la Veep doit se rendre dans un magasin qui vend du yaourt glacé (oui, les Américains bouffent n'importe quoi) pour en rencontrer les propriétaires, puisque ceux-ci ont eu la gentillesse de nommer un parfum après elle. La futilité initiale de la situation prend un tour très différent lorsque Selina apprend que le président serait en train de faire un infarctus en Afrique : exit les yaourts, sourires et poignées de mains, elle est guidée jusqu'à la cellule de crise de la Maison Blanche. Tandis qu'elle peine à prononcer quelques mots de compassion pour Potus, dissimulant mal son sourire triomphant, tout le monde sent arriver la catastrophe qui ne tarde pas à se produire : Potus était seulement affligé de brûlures d'estomac et se porte comme un charme. Selina retourne à ses yaourts et tombe soudainement malade, risquant à tout moment de vomir le frozen yoghurt portant son nom sur le sol du magasin...Cette description à la fois tordante et cynique d'une journée traditionnelle de la vice présidente des Etats-Unis donne le ton en ce début de saison : la honte et le désarroi seront l'apanage de Selina. Celle qui avait l'ambition d'être le fameux "leader du monde libre" se voit réduite à l'introduction de couverts en plastique dans les cuisines de la Maison Blanche, s'inquiète d'un futur "hurricane Selina", visite des écoles pour chanter avec des maternelles...On voit bien que tout est politique, même les serviettes en papier, mais on sent tout autant qu'on est loin, très loin de la politique pour laquelle Selina s'est engagée au départ.



Selina ou l'érosion politique

En huit épisodes, on passe d'une comédie enlevée au récit douloureux de l'échec d'une carrière politique, car plus le temps passe, plus les problèmes personnels et l'égocentrisme de Selina jouent en sa défaveur. Un lapsus fait d'elle une raciste et c'est la débandade : les surnoms les plus vicieux se multiplient sur le web, son décret phare sur les "clean jobs" est foutu au placard tandis que sa nouvelle mission est d'apporter son soutien aux victimes de l'obésité...Tandis que sa vie de famille fout littéralement le camp, "Meyer The Liar", "The Wicked Witch of the West Wing" ou encore "The Batcave" est en chute libre dans les sondages de popularité, ce qui enclenche un cercle vicieux des plus efficaces car le président se détache d'elle, lui confiant des tâches toujours plus ingrates qui affaiblissent plus encore son image.




Finalement, Veep parvient à prendre une tournure tragique : la volonté de Selina d'atteindre les sommets n'a d'égale que le terrible échec de son mandat, dont on perçoit difficilement l'issue en fin de saison. Le dernier épisode -qui est excellentissime, déjà- permet aux personnages d'atteindre le paroxysme de leurs travers : la manipulation de l'opinion, qu'Amy, Dan et consorts pensent maîtriser comme une petite cueillère est plus que jamais d'actualité pour tenter une dernière fois de redorer le blason de Selina dont plus personne ne veut entendre parler. S'enclenche rapidement un jeu dangereux auquel l'équipe toute entière risque de perdre l'ensemble de ce qu'elle a réussi à construire. La saison s'achève ainsi dans un chaos dont notre expérience des séries et de la vie politique nous enseignent qu'il est provisoire, mais il n'en est pas moins sidérant. 




S'il me fallait donc résumer Veep en quelques lignes, je dirais pêle-mêle que cette série a pour elle un langage absolument vulgaire et délectable, un humour mordant, des scènes simplement cultes et un casting incroyable : alors, arrêtez de mater Secret Story, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
Bisous.


W. qui s'embourgeoise



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